La problématique qui sera abordée lors du 12e colloque de la série Psychanalyse-Psychothérapie-Critique culturelle s’inscrit dans la triste réalité actuelle. En plus d’un soutien matériel et psychologique apportée à nos voisins, il est du devoir d'un homme pensant de proposer une réponse intellectuelle à ce qui ne devrait pas avoir lieu. Dans l'approche psychanalytique d'orientation lacanienne, cela s'appelle le réel (le concept qui explique la folie) qui s'est libéré de la chaîne qui, jusqu’à présent, maintenait un ordre relatif dans le monde. Le réel, libéré de la chaîne de l'ordre a conduit à la contestation de l'essence de l'être humain. Cela se produit en amour et dans d'autres domaines de la vie humaine.
L’amour est l’une des choses capitales, sinon la plus importante, dans l’existence de l’homme. Ce n’est pas sans raison qu’il fait l’objet d’études et de réflexions de philosophes, artistes, scientifiques et spécialistes de l’état psychique de l’homme. On cherche à expliquer, de différentes manières, ce que c’est que le phénomène de l’amour, quelle en est la matière et quelle fonction il a pour l’homme.
Cette année, dans les réflexions menées sur l’amour dans le cadre de notre colloque nous l’aborderons sous l’angle de trois domaines : philosophique, artistique et psychanalytique. Des domaines qui, depuis des centaines d'années, n'ont cessé d'explorer l'idée de l'amour, qui selon Lacan... n'existe pas - bien qu'il soit éprouvé. Le programme comprend des conférences, des débats et des études de cas. Nous nous intéressons à l'amour d'un point de vue psychanalytique et philosophique. Nous parlerons de l'amour platonique et faustien, de l'amour courtois (qui, selon Octavio Paz, est un tantra européen), de l'amour sadique (celui de Sade), et enfin (et notamment) de l'amour dans la tradition psychanalytique : tel qu'il est compris par Freud, Laplanche et, surtout, Lacan.
Les représentants de ces domaines qui ont accepté l’invitation à notre colloque, veulent, dans une ambiance de débats animés, se pencher, une fois de plus, sur la question de savoir ce que c’est que l’amour. En effet, cette question revêt toute son importance au XXIe siècle, à l’heure où les relations interpersonnelles ‘déménagent’ dans la réalité virtuelle, à l’heure où le langage de la haine et du mépris bat son plein, à l’heure où nous sommes touchés par de nombreux conflits armés dans le monde et près de chez nous. Est-il actuellement utile de se poser une telle question ? Peut-être que le programme du 12e colloque de la série Psychanalyse-Psychothérapie-Critique culturelle proposé par les organisateurs nous rapprochera de la réflexion sur l’amour et son importance dans une approche plus large...
L’amour est l’une des choses capitales, sinon la plus importante, dans l’existence de l’homme. Ce n’est pas sans raison qu’il fait l’objet d’études et de réflexions de philosophes, artistes, scientifiques et spécialistes de l’état psychique de l’homme. On tente d’expliquer, de différentes manières, ce que c’est que le phénomène de l’amour, quelle en est la matière et la fonction pour l’être humain.
Platon a convié au banquet des philosophes et des artistes pour que ceux-ci, outre faire un éloge d’Eros, puissent, dans un esprit de dialogue équilibré, expliquer l’essence de l’amour en donnant ses caractéristiques et en en « distinguant » différents types. Ils n’ont entrepris que d’éclaircir et non pas d’expliquer les raisons pour lesquelles l’homme aime parce que la question de l’amour appartient à la sphère des sentiments qui ne se prêtent pas à une ingénierie de recherche qui se pose la question de savoir « pourquoi aime-t-on ? ». Au cours de ce colloque, nous ferons de nombreuses références à l’amour dans une perspective philosophique, ce qui contribuera à nourrir nos débats et à engager une réflexion plus approfondie.
Dans le domaine de la psychologie, les scientifiques ont aussi fait un effort en effectuant des centaines de mesures des sentiments et des comportements qui y sont associés, susceptibles de caractériser l’état d’être amoureux. L’utilisation de questionnaires toujours plus sophistiqués a produit encore plus de définitions et de classements et s’est soldé par des échecs ; en effet, ceux-ci s’éloignent de l’essence de l’amour au niveau individuel. Il existe de nombreux autres domaines qui cherchent à expliquer l’amour : l’anthropologie, la religion, la pédagogie, la chimie, la médecine et d’autres encore.
Cela forme un acquis culturel impressionnant de l’humanité. Il s’agit d’une grande contribution intellectuelle pour soutenir les débats et le champ de recherche tendant à comprendre le phénomène toujours secret et mystérieux de l’amour. Mais les efforts consentis par des chercheurs en amour nous expliquent-ils suffisamment la nature de l’amour, en particulier lorsqu’il s’agit d’une universalisation excessive, d’une normalisation des sentiments amoureux qui en disent peu sur l’expérience de l’être humain prise individuellement ?
Pourquoi en est-il ainsi ? En effet, l’amour est une expérience dont la nature peut être considérée selon le principe cher à la psychanalyse d’orientation lacanienne : « au cas par cas ». Et c’est seulement cette approche qui nous permet de nous rapprocher de l’explication des raisons pour lesquelles l’homme aime, se défend contre l’amour ou demande de l’amour, en élaborant des solutions qui lui sont propres et nullement semblables à celles des autres. Ce n’est que de cette manière que l’on peut se rapprocher de l’essence de l’amour - mais pour chaque être humain autrement, au cas par cas.
Les artistes sont les plus proches de ce principe en raison de l’importance qu’ils accordent à l’individu. On pourrait donc clore la question et renvoyer les personnes intéressées aux artistes - notamment écrivains et poètes - qui sont capables de « parler » des expériences amoureuses en utilisant des moyens d’expression qu’ils maîtrisent. Ainsi, nous avons, par exemple, une description détaillée par Goethe de l’expérience amoureuse dramatique de Werther, passionnément épris de Lotte, qui s’est terminée par le suicide de Werther. Nous avons l’histoire de deux amoureux décrits par Shakespeare - Roméo et Juliette - qui viennent de familles adverses et donc la relation se termine de manière tragique - ils meurent tous les deux, victimes d’une intrigue cruelle.
La littérature polonaise abonde en descriptions romantiques des pérégrinations amoureuses. Il suffit de mentionner, à titre d’exemple, Kordian de J. Słowacki, qui nourrit l’idée de mettre fin à ses jours après être rejeté par une femme.
En littérature et dans d’autres domaines des arts (musique, cinéma, sculpture), les artistes, on le sait, créent des textes, des œuvres musicales, des tableaux, des sculptures, beaux et émouvants, pour « traiter » leur souffrance éprouvée suite, par exemple, à l’expérience d’un rejet par un être cher.
La psychanalyse d’orientation lacanienne, dans son traitement de l’expérience de l’amour est proche du monde de l’art. D’un point de vue lacanien, l’amour pourrait être envisagé sur la base de ce que l’on appelle le nœud borroméen, dans lequel se nouent les trois registres du travail de notre esprit : symbolique, imaginaire et réel.
Dans le registre symbolique, « aimer » c’est éprouver l’immense sens de son existence et le souligner par de nombreux actes symboliques tels que : les alliances, les rendez-vous en amoureux avec, pour corollaire, de gadgets symboliques ne présentant une signification que pour le couple amoureux, la célébration d’une date spécifique ou les vœux d’amour. Dans ce registre, les amoureux accordent également une grande importance à la vérité qui s’avère finalement être mensongère, comme le conclut Lacan dans ses réflexions sur la construction du fantasme et la traversée de celui-ci dans le processus analytique.
Mais le fait de tomber amoureux ravive immédiatement le registre imaginaire, si bien que l’on abandonne rapidement la réalité pour se jeter dans l’abîme des hallucinations plus ou moins grandes. On aime l’objet imaginaire de son amour et non pas la personne réelle avec ses imperfections naturelles.
Puis il y a l’anneau que Lacan a appelé le réel, quelque chose qui est hors sens, c’est-à-dire ce qui ne peut pas être entièrement compris, qui ne peut pas être nommé. Si nous percevons dans l’état d’être amoureux un élément de folie, voire une folie, ceci vient du registre du réel. Jacques Lacan a proposé une élaboration capitale de cette question dans son dernier enseignement. L’expérience de l’amour ne peut pas non plus être cernée entièrement avec les mots. Il y a quelque chose qui se situe hors langue et qui est défini par J. Lacan comme le réel, et qui demeure étroitement lié à la question de la jouissance, qui est devenue le noyau de sa théorie développée dans son tout dernier enseignement.
De même, ceux qui ont connu l’amour au moins une fois savent ce qu’est cet état d’être amoureux et n’ont guère besoin de partager leur bonheur avec d’autres, à moins qu’ils ne connaissent un amour non réciproque ou un rejet, ce qui donne lieu à une souffrance incommensurable avec laquelle il est courant, dans le monde moderne, de se rendre chez un psychanalyste, un psychothérapeute ou un autre spécialiste ; en effet, cette souffrance produit également de nombreux symptômes corporels et suscite une angoisse. Les psychanalystes apprennent beaucoup sur l’amour de leurs analysants. Tôt ou tard, tous les analysants sont confrontés à la question d’être aimé ou de ne pas être aimé dans le contexte de leur destin alambiqué et de toutes les conséquences qui y sont associées.
Il ne faut pas oublier Freud qui a apporté une contribution majeure à la question de l’amour. Ses « Contributions à la psychologie de la vie amoureuse » demeurent toujours une source d’inspiration importante pour les réflexions sur l’amour et ses liens avec la sexualité humaine.
La question de l’amour et de ses déficits est centrale dans le processus psychanalytique d’orientation lacanienne. Jacques Alain Miller, « fils spirituel » et commentateur de l’œuvre de Lacan, a déclaré que la psychanalyse est « une expérience dont le ressort est l’amour » (« On aime celui qui répond à notre question : Qui suis-je ? » Entretien avec J-A Miller publié dans l’édition française de Psychologies Magazine, octobre 2008, numéro 278, pages 116-120). La personne qui souffre et qui vient au cabinet du psychanalyste investit l’analyste de son amour involontairement, inconsciemment, presque automatiquement, Cela crée le fondement du transfert, cet amour transférentiel particulier, dans lequel Freud voyait de nombreux avantages mais aussi des risques, dangereux tant pour le psychanalyste que pour l’analyste. Selon la règle en vigueur dans de nombreuses approches psychothérapeutiques, il est recommandé que le thérapeute réponde à cette demande d’amour avec, par exemple, de l’empathie, ce qui est susceptible de déclencher un contre-transfert. Dans la psychanalyse d’orientation lacanienne, il n’y a pas de place pour l’utilisation du contre-transfert.
Dans les années 1970, Lacan a opéré un revirement dans sa conception - toujours en évolution - de la compréhension de la vie psychique de l’être humain. Dans le Séminaire XX intitulé Encore, Lacan souligne que « l’inconscient ce n’est pas que l’être pense […] l’inconscient c’est que l’être en parlant jouisse et j’ajoute […] rien en savoir de plus, j’ajoute que cela veut dire ne rien savoir du tout ». L’inconscient ne découle donc pas de la chaîne articulée S1 -S2 et des lois de de la métaphore et de la métonymie répondant aux signifiants. La manière antérieure d’interpréter en donnant un sens à une situation considérée ne suffit plus. Ainsi, sont apparus l’inconscient transférentiel (freudien) et l’inconscient réel. Pour résumer ces divagations terminologiques, il faut constater que le phénomène de l’amour ne peut être compris uniquement par l’usage des sens. La notion de jouissance est entrée en jeu. Depuis l’introduction de l’objet a, différent du signifiant et de l’imaginaire, de cet objet que la linguistique « a laissé vide », la psychanalyse va s’orienter sur un rapport au réel défini comme quelque chose d’impossible – « Ce qui jamais ne cesse pas de s’écrire » et dans l’expérience de l’amour c’est exactement ce qui se passe. La fonction du signifiant a radicalement changé ; il ne mortifie plus la jouissance, mais produit l’effet sous la forme la jouissance. En polonais, il n’y a pas de traduction correcte du mot ou plutôt du néologisme jouissance. Les mots « rozkosz », « rozkoszować się » semblent en être les plus proches, mais ils ne rendent pas exactement ce que ce terme contient. Le terme jouissance ne fait pas référence au plaisir éprouvé dans le cadre du principe de plaisir freudien, mais concerne un domaine extérieur à ce principe. La jouissance peut être éprouvée dans la vie sexuelle, dans l’amour, dans la douleur, dans la souffrance, dans certaines expériences traumatiques, dans le masochisme, dans tous les cas où se rencontrent la pulsion de vie et la pulsion de mort. L’approche de ce domaine est difficile car elle concerne ce qui échappe à la symbolisation. La jouissance se présente simultanément comme mythique et comme réelle. Elle concerne le sujet, mais échappe à la subjectivation ; elle est au-delà du sujet. Eprouvée dans le corps, elle peut être « inconsciente ».
Lacan et les continuateurs de sa conception développée dans le dernier enseignement, à partir de la logique freudienne de l’inconscient, ont proposé de distinguer la jouissance phallique qui se situe dans la logique du tout : avoir – ne pas avoir à partir de la jouissance féminine qui se fonde sur la logique du pas tout. Et il s’est avéré qu’il n’est possible d’aimer qu’à partir de la position de la jouissance féminine, indépendamment du sexe biologique. Et cet amour prend la forme de l’érotomanie. Alors que du côté masculin – de la logique phallique - on ne peut que se soutenir par un fétiche en essayant d’aimer. Le fait que Lacan ait pris un tournant radical et se soit écarté de la logique freudienne et ait surmonté le sens a apporté un nouvel éclairage à la question de l’amour d’un être parlant, qui sera présenté plus largement au cours du colloque, dans les sessions où les psychanalystes prendront la parole.
Dans nos réflexions sur l’amour menées dans le cadre du colloque, nous aborderons cette thématique d’un point de vue de trois domaines : philosophique, artistique et psychanalytique. Ces domaines, depuis des centaines d’années, n’ont cessé d’explorer l’idée de l’amour, qui selon Lacan... n’existe pas - bien qu’il soit éprouvé.
Les représentants de ces domaines qui ont accepté l’invitation à notre colloque, veulent, dans une ambiance de débats animés, se pencher, une fois de plus, sur la question de savoir ce que c’est que l’amour. En effet, cette question revêt toute son importance au XXIe siècle, à l’heure où les relations interpersonnelles ‘déménagent’ dans la réalité virtuelle, à l’heure où le langage de la haine et du mépris bat son plein, à l’heure où nous sommes touchés par de nombreux conflits armés dans le monde et près de chez nous. Est-il actuellement utile de se poser une telle question ? Peut-être que le programme du 12e colloque de la série Psychanalyse-Psychothérapie-Critique culturelle proposé par les organisateurs nous rapprochera de la réflexion sur l’amour et son importance dans une approche plus large...
Alina Henzel-Korzeniowska